Hypersensible, moi?

Je ne raffole pas des étiquettes, mais elles peuvent avoir une utilité. Par leur existence, maladroites, limitées, limitantes, elles ont une qualité : rendre visible.

Etiquette: « hypersensible »

Poser un mot sur quelque chose le rend visible, audible. A partir de là, on peut en parler, beaucoup plus, beaucoup plus facilement. Pas forcément bien. Mais ça le fait exister, voyager. On peut s’en emparer, pour le meilleur et pour le pire.

Une étiquette peut être posée à tort, à l’emporte-pièce. Mais elle peut, aussi, contribuer à nommer, publiquement, un état d’être, une source de douleur, d’incompréhension. Elle peut permettre une reconnaissance, et même parfois, un accompagnement bénéfique, une prise en charge jusque là impossible car le besoin n’était pas identifié.

« Hyper sensible », ressentir plus fort. Le dico dit: une sensibilité extrême. Les bruits, les émotions, la lumière, les stimuli de toute sortes (publicités dans la rue, paroles, bruit des moteurs, foule…). Les contacts, les odeurs, les regards, les mots, la musique…Des sensations fortes. Depuis toujours.

Une étiquette influence celui qui la pose, ceux qui la regardent, et celui qui la porte.

Alors si je la porte, cette étiquette « hypersensible », qu’est-ce qu’elle m’apporte? Une compréhension de mon fonctionnement? Oui. Une plus grande légitimité à assumer certaines réactions, parfois apparemment décalées, exagérées ? Oui. De la force supplémentaire.

Mais attention, qu’elle ne devienne pas un bouclier. Une étiquette devenue rigide derrière laquelle me barricader.

Un cœur ouvert

Car mon cœur sensible, je veux le garder ouvert, accessible. Perméable à la beauté, aux gestes d’amour, au merveilleux de tous les jours. Je veux le garder ouvert aux sourires, aux étreintes, au son du rire de ma fille, aux regards qui pétillent. Je veux le garder ouvert…Et donc vulnérable.

Oui vulnérable, ce n’est pas un gros mot, ce n’est pas un défaut. C’est une qualité du guerrier de lumière, comme disait Chogyam Trungpa. Le guerrier de lumière avance le cœur ouvert, et donc vulnérable. Il prend le risque des blessures… mais ce risque est bien moindre que ceux qu’encourent les cœurs durcis, rétrécis, étouffés dans leur carapace, cocon devenu prison, les cœurs barricadés ne laisseront pas entrer, non plus, la lumière et la beauté…Les cœurs meurtris, choqués, survoltés, pourront être réparés…à condition de rester ouverts.

Le cœur perçoit en premier. Le Petit Prince nous l’a dit et d’autres poètes avant lui, bien avant les études scientifiques et les imageries.

Diversité sensible

Il existe différentes sensibilités, différents degrés, différentes intensités, comme il existe diverses formes de pensée, d’intelligence. Elles sont maintenant, elles aussi, de plus en plus visibles, de plus en plus parlées, référencées, évaluées, notées.

Intelligence kinesthésique, musicale, des mots, relationnelle, etc.

Il y a les façons de penser plutôt linéaires (du point A au point B), ou plutôt en arborescence (du point A, qui me fait penser, tiens, à ce qu’a dit Y, d’ailleurs je dois l’appeler, mais où j’allais déjà? ah oui, B…).

Pour cela aussi, il y a des étiquettes, des diagnostics, des tests, des classes spécialisées…

Nommer, comprendre, diminue la peur, parfois la souffrance. Nommer sans enfermer, nommer sans limiter. Nommer pour se relier, pour progresser, comme des galets posés pour traverser. Pour s’atteindre, s’identifier, se rejoindre puis partager. Vivre ensemble.

Oui, nous sommes multiples.

Et ce qui peut aider, c’est l’ACCUEIL.

Accueillir

L’accueil inconditionnel.

Accueillir chaque enfant, chaque adulte, chaque être humain, avec sa façon de réfléchir, de ressentir, de s’exprimer, de bouger, d’être en relation. Avec son rythme, sa musique à lui.

La diversité du monde repose là, le métissage relationnel aussi. Toutes nos formes de pensée, de rêve, d’expression verbale, corporelle, artistique, manuelle, relationnelle, tout cela nous pouvons le développer, le créer, jouer avec, devenir plus sensibles, plus intelligents, plus résilients, plus forts, plus imaginatifs.

Car je crois, comme Charlebois ou Bernard Werber, que c’est l’imagination qui sauvera le monde. Elle recèle tous nos possibles, toutes ces solutions insoupçonnées, toutes ces visions encore invisibles, car elle est un terrain de liberté. Un terrain qui n’appartient qu’à soi et qui n’a aucune limite. Mais qui peut être partagé. Accueilli, encouragé, dès l’enfance. Surtout dans l’enfance.

A mains nues

Dans ma vie, c’est la pratique du massage, l’apprentissage de cet art ancestral, qui m’a montré ce qu’est l’accueil de quelqu’un, dans le respect total. Quelle que soit sa peau, son genre, son âge, son aspect physique, son apparence sociale; masser la peau nue, avec mes mains nues, de dizaines de personnes, chacune dans son unicité, m’a ouverte à cet accueil de l’autre. Cela a éveillé en moi beaucoup d’amour, de la compassion, et beaucoup d’humilité.

Cette compréhension physique de l’altérité et de la vulnérabilité humaine m’a été fondamentale. Sentir avec mes mains, avec tout mon corps, d’autres êtres, d’autres sensibilités. Cela m’a changée, a ouvert ma propre carapace; lui a permis de fondre, petit à petit. Le guerrier de lumière est vulnérable…

Masser et être massé, c’est toucher et être touché. Se laisser toucher par la vie, la vie en soi, grâce aux mains de l’autre. Grâce à une relation, à des mains respectueuses, bienveillantes, accueillantes, bienfaisantes.

Paradoxe humain

L’homme ne peut vivre qu’en relation, il ne peut devenir lui-même qu’avec les autres. Le massage est une formidable expérience de ce paradoxe: se sentir vivant, accueilli, plonger profondément en soi-même, grâce au toucher d’un autre, grâce à son contact, à son accueil.

A notre portée, nous avons des moyens très simples d’accueillir l’autre dans son authenticité, à condition de les utiliser avec le cœur ouvert, et l’intention de l’accueillir tel qu’il est. Le toucher est un de ces moyens, et l’écoute en est un autre. Ce ne sont pas des choses très valorisées ni enseignées dans notre société actuelle. Mais on peut apprendre, réapprendre ce qui fait partie de notre nature profonde.

Notre sensibilité, quelle que soit sa manifestation, intérieure, extérieure, quelle que soit son expression, son intensité, fait de nous qui nous sommes. Nous accueillir nous-mêmes, nous respecter, dans nos « trop », « pas assez », « pas comme les autres », nous laisser la paix, nous assumer dans notre singularité, c’est ce que je nous souhaite. Pour vivre en paix, en joie, en amour, avec nous-même et avec les autres. Notre diversité est notre trésor, notre chance. Osons nous accueillir et nous révéler, nous rencontrer, offrons-nous la possibilité de créer ainsi des ressources toujours renouvelées.

Article rédigé par Claire-Emmanuelle BERNARD ACQUAVIVA, le 29 avril
2020
 
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